Concerts : Sélène Saint-Aimé : du jazz au Théâtre sous les arbres et au Séchoir

Sa musique jazz est empreinte d’un souffle dramatique, imprégné des traditions noires qu’elle explore depuis ses débuts. La contrebassiste française Sélène Saint-Aimé, fruit d’un métissage martiniquais et franco-ivoirien, trace son chemin personnel et son identité musicale au gré de ses voyages et multiples rencontres. Elle fait escale sur notre petit bout de France de l’océan Indien au Théâtre sous les Arbres ce jeudi soir, et le lendemain au Séchoir (photo DR). (Photo Sélène Saint-Aimé, concert, jazz Photo : DR)
Il est des astres dont l’ascension tient de la fulgurance. Sélène Saint-Aimé est de ceux-là. Sans doute sous l’impulsion d’un prénom prédestiné (dans la mythologie grecque, Séléné, fille des Titans Hypérion et Théia, représente la déesse de la pleine Lune), qui l’amènera à sortir en 2020 un premier album salué par la critique, nommé « Mare Undarum » - transcription poétique de l’influence de la Lune - et auréolé d’une Victoire du Jazz en 2021 dans la catégorie « Révélation »…
Deux ans plus tard, son deuxième opus « Potomitan », composé durant le confinement, évoque ses racines : dans la culture antillaise, le potomitan désigne un totem autour duquel s’articule la vie du corps social et par extension, il représente aussi la femme créole, pilier du foyer.
Loin d’une relecture figée ou d’une fusion pan-caribéenne, ce second album s’abreuve à la source musicale et spirituelle qui irrigue la culture afro-descendante. Sachant que Sélène a découvert son instrument fétiche, la contrebasse, sur le tard, au détour d’un bénévolat pour un festival de jazz, son parcours laisse pantois.
Disciple de Steve Coleman et Ron Carter, elle fait sien un mantra de Coleman : « Le but est de trouver ta propre expression ». Son expression justement, elle la trouve dans ses racines caribéennes et africaines, dans les musiques de la diaspora, dans un chant dont elle a elle-même inventé la langue, dans une créativité hybride.
Vous l’avez compris, l’éclipse n’est sûrement pas pour demain. Rencontre avec une jeune virtuose qui partage sa musique originale, créative et d’un lyrisme surprenant avec sensibilité.
- Avec un prénom en référence à la déesse de la pleine lune dans la mythologie grecque, vous étiez prédestinée -
Pas vraiment parce que je ne suis pas issue d’une famille d’artistes ni de musiciens. J’ai davantage l’impression que ce parcours m’est un peu tombé dessus sur le tard et j’ai eu beaucoup de chance grâce à des rencontres incroyables qui m’ont aiguillée vers une vie de musicienne et d’artiste, plutôt qu’une carrière, ce terme étant selon moi inapproprié.
- Les pieds sur terre ou dans la lune justement ? -
C’est important d’avoir les pieds sur terre et d’être suffisamment apte à s’émerveiller de la beauté de la vie et de continuer à rêver. C’est comme ça que naissent mes idées d’ailleurs. Le climat social actuel étant très anxiogène, le rêve peut représenter une échappatoire même si la réalité nous rattrape toujours.
J’ai passé l’hiver en Martinique et j’étais aux États-Unis juste avant. Mes premières semaines en France sont donc toutes récentes pour une tournée avec mon groupe. Nous avons eu le malheur d’arriver en pleines grèves, qui plus est dans Paris qui débordait de poubelles et on n’a pas pu se rendre aux concerts. Bref, il y a toute cette réalité qu’il faut prendre en compte mais au sein de laquelle il faut savoir naviguer et trouver des issues qui nous font rêver même si je dirais que l’être humain a cette faculté à s’adapter.
- Votre père est martiniquais et votre mère franco-ivoirienne, on peut dire que vous êtes issue de la diaspora. Votre musique en est-elle à l’image ? -
Complètement. La musique que je compose résonne de ces influences qui sont en moi. C’était donc logique et je tiens à préciser que je ne cherche nullement à donner un style particulier à ma musique.
- Vos inspirations sont nombreuses certes, mais à l’image d’un poète, vous maniez les mots à la perfection. Peut-on dire de vous que vous avez plus d’une corde à votre arc… musical ? -
Franchement oui ! J’ai toujours été passionnée de littérature et plus particulièrement de poésie où on parle beaucoup de rythme et ce qui m’interpelle le plus dans la musique c’est justement le rythme.
Le rythme des mots me fascine et me permet également de figer des moments de vie que j’ai trouvés magnifiques ou incroyables tels que des sensations, des idées, parfois des odeurs. Il y a ce quelque chose de magnifique dans la poésie qui fait qu’on arrive à dire l’indicible sans avoir à le dire.
Mêler poésie et musique constitue selon moi une manière de faire passer la « pilule littéraire » beaucoup plus facilement. Un bon compromis en fait.
- Avec l’album « Potomitan », était-ce un besoin viscéral que de rendre hommage à vos racines et à la famille ? -
Je dirais que plus qu’un hommage aux racines, c’est davantage une suite de mon premier album même si je l’ai composé en Martinique et qu’on y entend cette empreinte musicale caribéenne.
Quant à rendre hommage à la famille, oui ! Pendant le Covid, j’ai passé beaucoup de temps avec mes grands-parents paternels et ma grand-mère maternelle, et il était important pour moi de marquer ce temps-là.
La famille au sens large fut donc une grande source d’inspiration. Il s’avère aussi que j’avais contracté le Covid et la Martinique était le lieu où je me sentais le mieux pour me refaire une santé et reprendre un peu du poil de la bête, pourtant je ne suis pas née en Martinique mais en région parisienne.
Ma façon de composer fut aussi particulière du fait de la maladie, j’ai gardé la musique en tête et quand je suis arrivée en studio, j’ai juste donné les idées, je n’avais pas de partition, c’était donc très organique. Je dirais que lors de ce séjour en Martinique, il y a eu comme une sorte de mutation et de renaissance dans ma vie. Un retour aux sources salutaire.
- Pour vos deux concerts sous nos latitudes, à quoi doit-on s’attendre ? À une ambiance intimiste et à un mix de vos deux albums ? -
Un peu des deux même si je jouerai beaucoup mon dernier album. Ce qui est important dans la musique live, et dans l’enregistrement aussi d’ailleurs, c’est de toujours apporter un morceau improvisé. Il y a aura donc forcément de l’improvisation, de la création instantanée, de la poésie, des échanges…
L’idée est de créer un moment magique qui ne se reproduira pas, de capturer l’unique et d’en faire quelque chose pendant une heure et demi et de recommencer le lendemain. Chaque concert est ainsi différent et je les vis à chaque fois avec intensité. C’est d’ailleurs comme ça que je vis ma vie aussi.
Je suis nomade, je voyage, je vis un peu d’amour et d’eau fraîche et lorsque je monte sur scène, je ne peux pas être une personne différente de celle que je suis dans la vie de tous les jours. De même que je ne peux pas concevoir un concert qui soit le même que les précédents. Donc, ceux de jeudi et vendredi seront forcément différents.
- Bio express -
Sélène est une contrebassiste, chanteuse et compositrice française d’origine caribéenne et africaine qui a fait ses classes à New-York auprès de musiciens de renommée internationale comme Steve Coleman, Lonnie Plaxico, Ron Carter...
Son identité musicale se développe au travers de voyages et rencontres et en 2020, elle sort son premier opus "Mare Undarum » puis « Potomitan » en mars 2022, et déjà très apprécié par la presse internationale. Sélène aime particulièrement accorder du temps à la recherche et à ses études musicales.
Elle est actuellement compositrice associée à Tropiques Atrium Scène Nationale en Martinique ainsi que l’une des lauréate 2022 de la Villa Albertine à la Nouvelle- Orléans. En parallèle, elle a créé avec le percussionniste martiniquais Boris Reine-Adélaïde, l’association Afropolis qui promeut et développe la pratique de la musique traditionnelle martiniquaise et des expressions artistiques associées.
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Sélène Saint-Aimé jeudi 6 avril au Théâtre sous les Arbres à 20h, et vendredi 7 avril, au Séchoir à 20h
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