Cinéma
“Même pas peur” : Aurélia Mengin se confie sans filtre

Coup d’envoi aujourd’hui et jusqu’au 25 février, de la 13e édition de « Même pas peur » à Saint-Philippe. Le festival international du film fantastique déroule une programmation de haute voltige de 60 films tous projetés pour la première fois dans l’île. Le point avec Aurélia Mengin, réalisatrice et fondatrice de l’événement, qu’elle dédie cette année à son père récemment disparu (photos DR)
Avec une soixantaine de films fantastiques de 24 nationalités différentes, voilà une bien belle cartographie. Un signe que « Même pas peur » gagne en ampleur et en notoriété d’année en année ?
« Même pas peur » porte vraiment bien son nom ! Tant de défis ont été relevés par l’équipe depuis sa création et chacune des épreuves que nous avons traversées a renforcé notre détermination et nous a fait grandir. Depuis 13 ans, la sélection officielle est réalisée avec le désir de présenter des univers esthétiques et narratifs très variés, offrant une vision hétéroclite et exigeante du fantastique, bien loin du cliché du cinéma de genre.
Notre programmation d’avant-garde est d’ailleurs plébiscitée par les critiques cinéma de revues spécialisées les plus prestigieuses tels « Les Cahiers du Cinéma », « Studio », « Mad Movies », « Technikart », « Première », « Ecran Large », « La Septième Obsession »…
Notre direction artistique est très respectée car nous osons programmer des films d’auteurs fantastiques indépendants qui sortent des cases et qui proposent de nouvelles expériences narratives et sensorielles. « Même pas peur » est aujourd’hui considéré comme un des 5 festivals de films fantastiques internationaux les plus audacieux et novateurs de France et s’est imposé comme un rendez-vous culturel fantastique incontournable.
Peut-on espérer y voir un jour un film made in Réunion ?
Nous avons déjà sélectionné des courts métrages réunionnais, principalement en animation car il y a un vrai attrait pour l’animation à La Réunion. En revanche, lors du processus de sélection, nous ne sommes pas dans une démarche de préférence régionale car notre ligne artistique est justement l’international.
Nous recevons énormément de films du monde entier, et en voyons tout autant dans différents festivals européens. Et pour chaque édition, nous en visionnons plus de 600 pour en retenir 60. La compétition est donc rude.
Pour cette édition, sort-on du cadre ou y reste-t-on ?
L’affiche de notre 13e édition est clairement une invitation à sortir du cadre. Depuis ma plus tendre enfance, je déteste absolument les conventions, les règles, les jugements, les pré-sujets et le calme ennuyeux des normes soi-disant rassurantes.
J’ai fondé « Même pas peur » voilà 13 ans, et forcément il me ressemble beaucoup, à l’image d’un gosse qui ressemble à ses parents. Alors oui, sans aucun doute cette programmation sort du cadre, comme chacune des éditions précédentes.
C’est d’ailleurs cette prédilection pour le hors-norme, l’anti-conformisme qui constitue sans aucun doute aujourd’hui la force vive du festival et l’ossature de sa renommée en Métropole, à l’étranger et bien sûr ici ! À chaque édition, des cinéphiles de toute l’île et de France viennent en nombre assister à des films tous diffusés pour la première fois à La Réunion, avec l’envie viscérale de découvrir des œuvres intimes qui bousculent leurs convictions, mélangeant poésie et chaos.
« Même pas peur » est donc une expérience qui dépasse parfois le cadre même du cinéma et je crois que n’importe quel cinéphile qui y assiste est traversé durant les multiples projections par un genre d’arc en ciel émotionnel.
Votre programmation prône-t-elle la diversité devant et derrière la caméra ?
Je suis une femme, qui plus est scénariste, réalisatrice, comédienne et fondatrice de ce festival. Je coche donc beaucoup de cases du féminisme. Ce serait mentir que de faire croire que mon parcours de vie dans l’univers du cinéma depuis une quinzaine d’année a été facile.
C’est un véritable chemin de croix et évidemment, dans ce milieu, tout est beaucoup plus difficile lorsqu’on est une femme. Lorsque mon équipe et moi sommes dans le processus de sélection, nous regardons chaque film et nous nous interrogeons sur ses qualités de mise en scène, son esthétisme, sa création sonore, son originalité, sa force, sa capacité à nous questionner ou à nous provoquer…
Jamais le genre du réalisateur, la nationalité, ou l’appartenance sexuelle, ne rentrent en ligne de compte comme des points bonus pour se faire sélectionner.
J’estime qu’il est dangereux de juger un film avec des critères autres que ceux de la création. En toute honnêteté, ce n’est qu’après avoir sélectionné les films que je découvre si c’est une femme ou un homme qui se cache derrière la caméra.
En revanche, le fait d’être une femme réalisatrice agit forcément sur le regard que je porte sur le monde et naturellement sur mon ressenti sur les films. Depuis de nombreuses années, « Même pas peur » est également reconnu pour la place qu’il accorde aux réalisatrices.
Même si les choses bougent lentement, le cinéma fantastique reste aujourd’hui encore un domaine majoritairement masculin, hors pour chaque édition, nous mettons naturellement en lumière plusieurs films réalisés par des femmes et pour cette 13e édition, sur 60 films, 23 sont réalisés ou co-réalisés par une femme, soit un peu plus du tiers de notre programmation.
Justement, à quelques jours du 8 mars, quel regard portez-vous sur la place des femmes dans le milieu du cinéma ?
Je ne peux que parler de mon expérience car heureusement toutes les femmes sont différentes. Malgré tous mes courts-métrages et mon premier long-métrage, le tournage du 2e fut une expérience particulièrement difficile parce que j’ai dû me battre énormément pour porter à l’image, l’univers précis que j’avais en tête. À chacun de mes différents tournages, je dois dépenser une énergie faramineuse pour imposer mon univers, et ce, malgré les différentes récompenses et reconnaissances accumulées sur mes films précédents.
J’ai toujours le sentiment de devoir justifier mes choix artistiques et cette désagréable sensation qu’on ne me fait pas confiance, qu’on s’étonne encore des mises en scènes surréalistes que je construis pourtant avec tant de travail et de réflexion.
En fait, je pense qu’on fait naturellement confiance à un homme réalisateur sans avoir au final l’assurance de son talent, de sa pertinence ou de son exigence. Alors qu’une femme doit être cent fois meilleure, cent fois plus performante, cent fois plus déterminée et résiliante pour parvenir à réaliser son film. Vulgairement je dirais que lorsqu’un réalisateur impose sa vision artistique, on crie tout de suite au génie et lorsqu’il s’agit d’une femme, on la traite plutôt de chiante ou d’emmerdeuse.
Chaque année, le festival met en lumière des réalisatrices et des réalisateurs qui se mettent à nu à travers leurs films. En ferez-vous partie un jour ou fut-ce déjà le cas pour ce festival-ci ?
J’ai réalisé 8 courts métrages qui ont fait une belle carrière en festivals à l’étranger. Certains après avoir parcouru les festivals internationaux ont fait une escale à « Même pas peur ».
En 2018, j’ai écrit, réalisé et produit « Fornacis », mon premier long-métrage qui a été sélectionné dans une trentaine de festivals internationaux et qui a remporté 9 prix dans plusieurs pays différents. En 2020, il est sorti sur Amazon Prime Angleterre. À la demande de plusieurs partenaire et des festivaliers, nous l’avions programmé lors de la 9e édition du festival en 2019 et actuellement je suis en post production de mon deuxième long-métrage dont le titre est « Bleu Écarlate / Scarlet Blue ».
Dans chacun de mes films, les corps, la folie, les peurs, la sensualité, la douleur et les fantasmes sont au cœur de ma mise en scène et de mes obsessions. Ils font office de « thérapie » et de mise à nue pour rester en vie.
Si je n’avais pas le cinéma comme perfusion, je crois que je ne serais plus de ce monde, car j’ai une réelle incapacité à vivre dans le monde réel et je ne suis pas une femme douée pour le quotidien. Si quelqu’un veut vraiment me rencontrer, me cerner, il faut plonger dans l’univers chaotique de mes films, que je donne plusieurs cartes pour comprendre mes peurs et mon besoin d’absolu.
Dans son édito de présentation, le maire de Saint-Philippe, Olivier Rivière, qui soutient l’événement depuis ses débuts, insiste sur le fait que « Même ,pas peur » appelle à la rébellion des consciences pour susciter de véritables réflexions… Partagez-vous cette opinion ?
Olivier Rivière est le tout premier a avoir cru en mon travail, à avoir vu mes films et à soutenir dès sa création notre festival et depuis de nombreuses années, nous partageons une passion commune pour le cinéma et ce besoin de susciter des débats et des réflexions sur le monde qui nous entoure.
Il y a plusieurs genres de cinéma différents c’est ce qui fait la richesse du 7e art, mais celui que je défends et pour lequel je me bats est un cinéma corrosif qui questionne, bouscule – et parfois difficile à digérer – mais qui joue un rôle primordial pour faire grandir l’âme humaine, et lutter contre l’obscurantisme et l’intolérance.
C’est dans cette optique que le maire de Saint-Philippe et moi, avons dès la création de « Même pas peur » mis en place des sélections spéciales à destination des écoles et les collèges de toute l’île et que nous avons pu faire découvrir le cinéma fantastique à 13 000 élèves. L’éveil à la culture, le goût pour un cinéma audacieux et le sens critique doivent se développer dès le plus jeune âge.
Malgré la crise sanitaire, vous avez tenu bon pour continuer à régaler les cinéphiles réunionnais. Quelle est votre recette ?
Trois mots : passion, détermination et travail jour et nuit, même le week-end !
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