Océan Indien par Imaz Press, mardi 9 mai 2023 à 06:12

Sakifo J-25 : Musique : le cri du corps d’Ann O’Aro

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Avis aux maloyèrs ! Le phénomène Ann O’Aro débarque sur l’une des scènes du prochain Sakifo, et ce dès le premier soir. Si les fans savent déjà de quoi il retourne, pour les autres ce sera l’occasion de découvrir l’œuvre du cœur, de l’esprit et du corps d’une étoile montante locale (Photo Florence Le Guyon).

Derrière le sourire angélique, un lourd passé empreint de violence et d’abus dont elle a fait une force, comme une revanche sur la vie après une enfance profanée… Derrière la voix enfantine de prime abord, Ann O’Aro - de son vrai nom Anne-Gaëlle Hoarau - se métamorphose pour expulser un maloya enflammé, passionné et poétique. Son écriture sauvage s’imprègne des langages accidentés ou des tics langagiers et son chant plonge dans son combat pour la décolonisation du corps, sans avoir peur des ombres. Rencontre…

Après un premier opus sobrement intitulé Ann O’Aro dans lequel vous dévoiliez à mots crus l'inceste commis par votre père, votre deuxième album, Longoz apparaît plus serein. Êtes-vous sur la voie de l’apaisement ou toujours en lutte pour imposer votre parole ?

Le premier album constituait déjà pour moi un premier chemin de résilience. Je n’étais plus dans le combat dans ce sens où j’avais pu mettre des mots sur mes maux et les chanter de manière viscérale et colérique. S’agissant de Longoz, je ne parlerais pas d’apaisement mais davantage de recul et comme une manière de jouer avec la nature. La parole est sortie et est devenue matière à jouer, à palper, à remodeler et a provoqué plus de détachement même si le premier album allait déjà en ce sens malgré son format coup de poing ressenti par le public.

Vos textes son tantôt en créole, tantôt en français, comme deux facettes de votre personnalité qui se voudrait brute côté pile et posé côté face…

Je fais systématiquement des adaptations d’une langue à l’autre donc tous les textes écrits en français ont leur pendant en créole et inversement. Je remarque effectivement qu’il y a plus de distance, de poésie, de recul voire de pardon dans le français alors que le créole sera radical et orienté vers le viscéral et les émotions brutes sans distance.

Avec d’un côté la pratique des arts martiaux afin de rediriger votre colère pour vous protéger, et de l’autre l’écriture pour vous réaproprier votre corps « meurtri », ces thérapies du corps et de l’esprit vous ont-elles aidée dans votre chemin de résilience ?

Ça a en effet été primordial pour moi de m’exprimer avec mon corps. Donner des limites au corps de l’autre comme au sien, savoir se placer et s’imposer sans forcément être dans l’adversité, jauger, se mettre à bonne distance… On apprend tout cela en arts martiaux et ça aide beaucoup, tout comme l’écriture d’ailleurs.

J’ai toujours beaucoup écrit et pourtant les première fois, j’avais honte de ce que je produisais. Et plus j’avais honte, plus il me fallait creuser. L’écriture est vraiment un outil incroyable pour sortir les choses, nuancer, globaliser, comprendre, intellectualiser et en même temps remettre les émotions au bon endroit. Pour ma part, je pense avoir dépassé cette honte.

Un récent concert complet à la Cité de la musique de Marseille, et à l’affiche de cette nouvelle édition du Sakifo, une consécration ?

Plus qu’une consécration, je dirais que ça me fait un bien fou de me dire que ma musique va rencontrer un public vaste et qui ne connaît pas forcément ce que je fais. C’est agréable de constater que de plus en plus de personnes adhèrent à mon projet et c’est surtout extraordinaire de pouvoir vivre ça à La Réunion, chez moi !

Je l’ai pas mal vécu en métropole où il y a eu énormément d’engouement avec des salles combles dans pas mal de villes, et c’est vrai qu’ici ce n’était pas encore arrivé. J’espère que ce sera le cas et le Sakifo est à mon sens une très belle fenêtre pour exister.

Vous êtes actuellement en résidence au Kabardock… Y a-t-il quelque chose dans les tuyaux, genre un nouvel album en préparation ?

Il y a en effet beaucoup de choses en préparation. Je suis actuellement en résidence avec un groupe en formation quartet et on prépare un album pour l’année prochaine. Parallèlement, il y a aussi de nouveaux projets avec le trio ainsi qu’un quartet réunionnais, mais je n’en dirais pas davantage.  

En tant qu’artiste féminine, quel regard portez-vous sur la femme réunionnaise ?

J’ai l’impression qu’elle s’émancipe, qu’elle a davantage confiance en elle et que sa parole est davantage reconnue tout comme son travail auparavant « invisible » qui l’est de moins en moins. Bref, en matière d’égalité, on avance comme ailleurs dans le monde et c’est une très bonne chose.

En parallèle, l’homme réunionnais réalise aussi qu’il tient une place importante au sein du foyer. Les mentalités évoluent même si c’est très long et que certains comportements demeurent.

En tant que femmes, nous avons notre place à prendre et selon moi les gens sont contents qu’on puisse s’imposer et malgré un côté patriarcal toujours présent, je suis heureuse de constater que les femmes - qui s’entraident déjà entre elles - peuvent aussi compter sur nombre d’alliés masculins.

À l’image de Grèn Sémé avec Zamroza l’an dernier, votre 2e album disque s'intitule Longoz, du nom d'une plante jaune qui envahit les forêts primaires dans les hauteurs de l'île. La nature est-elle pour vous source d’inspiration ?

Je pense qu’à La Réunion, nous avons un rapport très fort à la nature. Pour moi elle est en effet très inspirante et c’est aussi un miroir de ce qui peut se passer.

J’ai volontairement choisi le longoz parce que cette liane venue de l’extérieur aux fleurs jaunes très odorantes, colonise et change la nature de la forêt. Je me posais la question de savoir comment elle était accueillie par les plantes et les arbres environnants qui doivent s’adapter à cette nouvelle présence. Et au-delà, mon questionnement était de savoir comment dans notre identité, nous sommes suffisamment forts pour laisser l’autre s’installer et apprendre de lui.
 
Pour la petite histoire, la graphie de votre nom est-ce un choix volontaire ?

Graphiquement, j’aimais bien avoir ce grand O, ce quelque chose de très circulaire avec des espaces en référence à d’autres horizons, aux départs, aux arrivées et au métissage de La Réunion. Et aussi parce que ça évoque un nom venu d’ailleurs comme les O’Ara en Irlande. Donc, même si Hoarau est un nom très porté ici, j’ai voulu ce petit clin d’œil car on est tous un peu citoyens du monde, on vient de partout et d’ailleurs comme le vent dans les voiles des bateaux.

- Kossa ou préfèr ? -

Une chanson emblématique de La Réunion : « Kafrine » d’Arnaud Dormeuil.  

Une expression créole : « Bèk dan’ta » qui veut dire Fonce et qui résume bien mon état d’esprit.

Les Hauts ou les Bas : Les Hauts pour les montagnes, les rivières, la nature et la vie. Je n’aime pas rester les doigts de pied en éventail en réalité.

Un fruit : Les fruits de la passion parce que j’en ai plein chez moi et que leurs fleurs sont si belles.

Un plat : Cari bichiques de mon doudou.

Un légume : Les bringelles parce même si elle paraissent sans goût, en accompagnement, elles rehaussent parfaitement un plat.

Un quartier : Là où j’habite, à Tan Rouge dans les hauts de Saint-Paul.

Une couleur : Le marron, une couleur qui pour moi évoque la nature et notamment la force du bois.

Partir ou revenir : Les deux, c’est important de pouvoir faire la navette entre l’ailleurs et chez soi.

Passé ou présent : Le présent parce qu’il y a déjà un peu la notion de passé et qu’on se construit dans le présent.
 
Ann O’aro sur la scène Filaos, le vendredi 2 juin à 18h
Info billetterie : www.sakifo.com

vw/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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