L’importation restera essentielle
A La Réunion, l’autosuffisance alimentaire n’est (vraiment) pas pour demain

Alors que la guerre en Ukraine a une nouvelle fois mis en exergue la dépendance de La Réunion face à l’importation, la question de l’autosuffisance alimentaire est sur toutes les lèvres. Si l’île est déjà autosuffisante pour de nombreux fruits et légumes, certains produits utilisés au quotidien par les Réunionnais.es proviennent largement de l’importation. Dans un contexte de désordre du commerce international, impactant directement l’importation sur l’île, développer la production de certains produits est une nécessité, en attendant une très hypothétique autosuffisance alimentaire (Photo d’illustration rb/www.ipreunion.com)
Salade, chou, brède, tomate, avocat...La Réunion connaît déjà l’autosuffisance en matière de certains fruits et légumes. Si les récoltes restent soumises aux aléas de la météo, entre cyclones, fortes pluies et périodes de sécheresses, l’approvisionnement reste assuré malgré une hausse des prix sur les étals. Certains produits, consommés au quotidien à La Réunion, proviennent cependant en grande majorité de l’importation, notamment l’oignon et l’ail. Une production locale existe bel et bien, mais elle est largement en-deçà des besoins des consommateurs. Résultat : ce sont 8.000 tonnes d’oignons et 2.500 tonnes d’ail qui ont été importées à La Réunion en 2021, principalement d’Asie, d’après la Chambre d’agriculture. Du côté de la Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF), on parle de 9.200 tonnes d’oignon et 1.800 tonne d’ail importées en 2020. Parallèlement, La Réunion ne produit que 1.200 tonnes d’oignon annuellement, et une centaine de tonnes d’ail. Un marché que la Chambre d’agriculture souhaite élargir au maximum, ces produits pouvant d’après elle être produits en assez grande quantité pour répondre à la majorité des besoins des Réunionnais.
"Ce sont des produits que nous pouvons produire localement, et sur lesquels nous voulons nous concentrer. L’autonomie alimentaire, ce n’est pas produire absolument tout ce que nous importons, mais réussir à produire en quantité suffisante les produits essentiels" estime Frédéric Vienne, président de la Chambre d’agriculture. Pas question alors de se concentrer à produire des fruits ou légumes comme les pommes ou des agrumes. "Notre climat ne s’y prête de toute façon pas. Nous devons aujourd’hui nous concentrer sur les produits que nous savons cultiver, l’important est désormais de trouver les terres pour le faire" explique Frédéric Vienne.
Environ 1.000 hectares de terres sont nécessaires à une production accrue d'ail et d'oignons. Ces terres sont disponibles d’après la chambre vertes, mais elles sont sous-exploitées ou en friche. "Cela nous prendrait au minimum cinq ans pour attendre l’autonomie sur des produits comme l’ail, l’oignon et la pomme de terre" détaille le président.
- Riz et lait, deux grands produits de consommation -
Une autosuffisance complète à La Réunion reste cependant utopique. Certains aliments, à l’image de riz, ne peuvent être produits dans l’île en quantité suffisante pour approvisionner tous les habitants. "La production de riz réunionnais est anecdotique. Et quand bien même nous réussirions à en produire assez, les Réunionnais devraient revoir leur mode de consommation, car il coûterait certainement plus cher que le riz importé d’Asie" estime Frédéric Vienne. Difficile en effet d’imaginer pouvoir pallier au 44.000 tonnes de riz importé annuellement, en grande majorité depuis le Cambodge (40%) et l’Inde (23%), mais aussi depuis le Vietnam (14%), la Thaïlande (11%), et le Pakistan (11%), que ce soit en matière de prix comme de quantité. Le lait peut lui aussi être cité parmi les produits qui nécessiteront toujours d’une part d’importation. Alors que La Réunion a produit environ 17 millions de litres de lait en 2021, la consommation annuelle dans l’île tourne autour de…100 millions de litres, d’après la coopérative agricole Sicalait. Il y aura donc toujours besoin d’une grande part d’importation, notamment lorsque l'on sait que la population de l’île continue d’augmenter. A savoir que le lait importé depuis la Métropole est en réalité du lait en poudre, ensuite retravailler par les industriels pour produire des produits laitiers. Le groupe Sorelait, par exemple, dont dépend Danone, utilise annuellement "entre 25 et 30% de lait frais réunionnais" pour la fabrication de ses produits. "Le reste de nos produits sont fabriqués à partir de lait en poudre importé de Métropole, la base de la recette est adaptée en fonction des arrivages de lait frais" explique l’entreprise. "Nous sommes dans une démarche d’augmentation de la production, notamment en formant de nouveaux éleveurs et en modernisant les élevages. Nous recevons régulièrement des équipes techniques de Métropole pour améliorer notre savoir faire, et proposons des formations sur l’herbage et le fourrage utilisés pour nourrir les vaches afin d’améliorer la qualité de notre lait" détaille par ailleurs la Sicalait. Mais au-delà des efforts des coopératives réunionnaises, il faudra toujours importer pour couvrir toute la demande. Au total, le lait réunionnais répresente 20 % du marché de l'île. La Chambre d'agriculture note tout de même "une marge de progression très importante pour la filière" ces dernières années. Pas assez cependant pour répondre à toute la demande.
- La viande, un produit 50/50 -
Côté viande, grand produit de la consommation réunionnaise au quotidien, tout dépend de l’animal concerné. Si La Réunion est autosuffisante en matière de viande de porc, avec 99% des besoins en frais couverts par les 246 exploitations porcines de l’île, la filière volaille - viande la plus consommée dans l’île - se divise plutôt à 50/50 entre l’importation et la production locale. Plus de 24.327 tonnes ont été produites en 2020, contre 20.500 tonnes qui ont été importées. Une grande partie de cette importation concerne cependant des produits congelés, dont une partie est destinée à la restauration scolaire. La filière porcine reste elle aussi concernée par l’importation en matière de produits congelés, avec 10.700 tonnes importées. La tendance de ces dix dernières années est cependant plutôt à la diminution de ces importations de porc, note la DAAF. La filière bovine représente elle 48 % des besoins en frais et 24 % du marché global, pour 1.816 tonnes équivalent-carcasse (TEC) - une unité de poids employée pour mesurer des quantités industrielles de viandes ; ndlr. A noter que cette filière a par ailleurs souffert d’une baisse de consommation en lien avec les problèmes de leucoses bovines qui a touché de nombreux cheptels de l’île. Les volumes de viande bovine importés en 2019 représentent de leur côté 4.520 tonnes, en provenance notamment de Métropole, mais aussi de Pologne, d’Allemagne, du Royaume-Uni ou encore des Pays-Bas. D’après un rapport de la DAAF, les importations de viande bovine en 2020 ont été stables malgré la crise sanitaire, à un niveau très élevé. 4.520 tonnes ont été importées, dont un tiers en frais, et deux-tiers en congelé. Dans ce contexte, même en cas d’augmentation du nombre d’exploitation, la question de l’autonomie en matière de viande reste ici aussi utopique.
- Peu de solutions à court terme -
Quelle solution apporter alors face à la dépendance de La Réunion à l’Union européenne et l’Asie ? La création d’une compagnie maritime régionale fait son bout de chemin à la Région, qui prône de meilleurs échanges avec nos voisins. Plus simple en effet d’importer des fruits depuis l’Afrique que le reste du monde. La piste est sérieusement envisagée, mais sous-entend de nombreuses négociations inter-étatiques pour aboutir, et ne représente donc qu’une solution à moyen terme. Pour l’heure, seules les importations depuis l’Afrique du Sud représentent un réel poids : elles représentent 45% des importations en fruits de La Réunion, essentiellement des agrumes, des pommes, des poires et des raisins. Des produits que la Chambre d’agriculture ne souhaite pas développer, et qui continueront donc d'être importées en masse. En attendant, une charte a été signée avec l'Etat pour sécuriser les approvisionnements maritimes de La Réunion. Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer, l’a signée en février dernier afin de contrôler la sécurité de l'approvisionnement et éviter une flambée des prix. Malgré cela, une envolée des prix est observée depuis le début du conflit russo-ukrainien. Une augmentation qui s'ajoute à celle observée suite aux cyclones et fortes pluies qui ont touchés l'île depuis le début de l'année. Un dérèglement de la desserte maritime, avec des risques de raréfaction des rotations, a lui aussi été observé. Dans ce contexte, les parlementaires réunionnais ont demandé une intervention rapide de l’État. Une réponse qui se fait toujours attendre.
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