Un fléau récurrent
Illettrisme : plus de 100.000 Réunionnais ne savent (toujours) pas lire et écrire

Ce jeudi 8 septembre 2022, marque la journée nationale de lutte contre l’illettrisme. Initiée par l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, ces journées rappellent chaque année la persistance à un niveau élevé de ce fléau à La Réunion touchant plus de 20 % de la population selon les données de l’Insee. Ainsi plus de 100.000 personnes ne savent toujours ni lire ni écrire dans notre île. Ce chiffre de l’Insee date de 2011 et n’a pas été actualisé à ce jour, mais différents indicateurs laissent à penser qu’il est encore d’actualité. De nombreuses actions sont menées pour combattre cette situation et surtout accompagner les Réunionnais. Plus d’une cinquantaine d’animations seront organisées du 8 au 15 septembre dans le cadre de cette 9ème édition des journées nationales d’action contre l’illettrisme (JNAI).
Cette année, "l’accent a été mis sur l’illettrisme au travail, tous concernés". Mais l’illettrisme peut concerner beaucoup de monde, jeunes, moins jeunes, gramounes, et pas seulement ceux qui n’ont jamais eu accès à l’école. Un frein pour de nombreuses personnes, qui n’osent pas parler de leur problème, par peur du jugement.
Joseph, 60 ans vit à Saint-Pierre, dans le quartier de Bois d’Olives. Ce gramoune du Sud n’a pas trop de souvenirs de l’école. "Depuis petit je ne suis pas trop parti à l’école", nous dit-il. "Mi té sa va rod zerb é apré moin la komans travay" dit-il. Joseph a tout à fait conscience de ses lacunes en lecture et en écriture. "Kan moin la bezoin fèr kek shoz, mi voi byen i fo gagne lire et ékri", explique le gramoune.
Il ajoute, "kan i pose à mwin kestyon, mi koné pa kosa i fo répon, mi konpran pa koi i vé dire". Pour résoudre ses failles, Joseph s’est inscrit aux ateliers d’alphabétisation menés par l’association solidarité Sainte-Thérèse il y a quatre ans. Il estime que c'est le bon moment de s'initier à la lecture et à l'écriture. Il apprécie ces ateliers. Le gramoune est assidu et appliqué. "Kan mi rant la kaz, mi fé mon ménaz, apré mi rouv mon kayé mi ékri kosa moin la fé dann la zourné" dit-il.
L’association Sainte-Thérèse qui prend en charge Joseph, permet à une trentaine de personnes d’apprendre à lire et à écrire. La plupart ont plus de 55 ans. "Ce sont souvent des gramounes qui veulent développer leur autonomie et se débrouiller, notamment dans les démarches administratives", explique Thomas Telegone, référent de l’atelier de lutte contre l’illettrisme.
On met en place des ateliers d’alphabétisation au sein de l’association, tout en prenant en compte les besoins de la personne", indique Thomas Telegone. Pour animer ces ateliers, l’association fait appel à des éducateurs, parfois des orthophonistes ou encore d’anciens professeurs des écoles. L’objectif étant de sortir de l’illettrisme de façon ludique. Il explique, "c’est comme à l’école, sauf que l’on ne suit pas de programme spécifique, on fait en fonction de la personne".
- L'illettrisme touche toutes les tranches d'âge -
Les gramounes comme Joseph ne sont les seuls à être affectés par l'illettrisme. Les adultes plus jeunes et les marmailles sont aussi concernés. Plusieurs associations se mobilisent pour les aider.
Comme l’association Sainte-Thérèse, l'Association laïque pour l’éducation, la formation, la prévention et l’autonomie (Alefpa) participe aux journées nationales. "Ce que l’on met en place, ce sont des accès aux contenus sur des supports faciles à lire et à comprendre", explique Aïda Périchon, directrice de Pôle Médico-social Ouest.
Au cœur de son pôle, 600 personnes de 8 à 45 ans, en situation de handicap, atteints de déficience intellectuelle ou de troubles neurodéveloppementaux. "Aujourd’hui, le constat que l’on fait, c’est que ces personnes en situation de handicap ont un cumul d’empêchements et leur handicap est un frein sur les compétences de base, à savoir lire et écrire'", souligne Aïda Périchon.
Pour les plus petits, elle souligne, "Nous avons des enseignants qui accompagnent les enfants dans leur classe avec un éducateur et sinon on a aussi des classes au sein des établissements médico-sociaux". L’ensemble de l’apprentissage fourni par l’Alefpa est basé sur une pédagogie active. "Nous mettons en place une approche individualisée avec des jeux, des médias éducatifs", indique la directrice du Pôle Médico-social Ouest. leur sortie du pôle, les jeunes et moins jeunes sont suivis pour éviter que la situation ne se dégrade et qu’ils perdent tous leurs acquis. "Nous avons des entrées en CFA, en contrat d’apprentissage, en emploi, des sorties plutôt positives", précise la spécialiste.
Pour sa part, l'association Les Petits Boucaniers située à Boucan Canot œuvre dans le domaine de l’accueil périscolaire et met en place un dispositif d’accompagnement à la scolarité. "Au sein de l’association, on demande aux équipes d’être très attentives sur le monde de l’écrit", explique Danièle Ginot, coordinatrice générale. Pour ce faire, l’association mise énormément sur la lecture. "On achète des livres toutes les semaines, notamment dans les brocantes et tous les jours on prend 45 minutes pour de la lecture libre", indique Danièle.
Danièle Ginot se souvient même d’une maman, venue accompagner son enfant aux ateliers. La maman avait quelques soucis de lecture et d’écriture. "Elle a appris à lire avec nous pour pouvoir accompagner son enfant", se remémore-t-elle. "Ce qui lui a permis aussi de découvrir une forme de liberté et de pouvoir lire ses courriers", ajoute la coordinatrice de l’association Les Petits Boucaniers. Un bonheur pour Danièle, que d’accompagner ces enfants. "Faire en sorte que les enfants soient épanouis en lisant, ça donne du sens à notre mission", remarque-t-elle.
- Un fléau à prévenir dès le plus jeune âge -
C'est justement pour éviter aux enfants d'être frappés par ce fléau, que l'illettrisme a été qualifié de priorité nationale. L'Éducation nationale se positionne ainsi comme l'un des acteurs majeurs en matière de prévention des difficultés de lecture et d'écriture.
L’Académie de La Réunion se mobilise tout au long de l’année pour sensibiliser les plus jeunes à l’importance de l’écriture et de la lecture. "L’illettrisme concerne des adultes qui, après avoir été scolarisés, n’ont plus une maîtrise suffisante de la lecture, de l’écriture et du calcul", explique l’académie. "Le rôle de l’école est donc d’assurer les conditions optimales d’acquisition des savoirs fondamentaux dès la maternelle et jusqu’au lycée", ajoute le rectorat.
Pour cela, plusieurs mesures sont mises en place comme l’apprentissage du vocabulaire et de la lecture dès l’entrée au CP, grâce à de la phonologie et la découverte du principe alphabétique.
En école primaire, l’Académie met également en place un renforcement de l’enseignement du français et des mathématiques, en améliorant en parallèle les conditions d’apprentissage avec le dédoublement des classes.
Au collège, l’objectif est de consolider les apprentissages fondamentaux des élèves les plus fragiles, grâce au dispositif "Devoirs faits". Il s’agit là d’un temps d’étude accompagné au sein de l’établissement pour réaliser les devoirs.
Le rectorat souhaite également cultiver le goût de la lecture à travers différents dispositifs comme l’opération "un livre pour les vacances" ou encore "silence on lit".
Un plan de prévention est aussi mis en place par le ministère de l’Education Nationale. Pour accompagner l’ensemble des acteurs de la communauté éducative, de nouvelles mesures complètent celles qui existent déjà et qui ont montré leur efficacité. Le plan de mobilisation de l’éducation nationale "Agir contre l'illettrisme" porte sur une meilleure sensibilisation et une meilleure information des équipes éducatives, la consolidation du pilotage du réseau "maîtrise de la langue" et le renforcement du lien entre l’École et les familles.
"Les jeunes âgés de 17 ans et plus passent un test de compréhension de l'écrit lors de la journée défense et citoyenneté (JDC). Ce test permet de repérer les jeunes en difficulté avec la maîtrise de la lecture et la compréhension de l'écrit", explique le ministère. "Les jeunes scolarisés qui se trouvent dans cette situation bénéficient d'un accompagnement renforcé dans les établissements dont ils dépendent", ajoute-t-il. Les évaluations menées dans le cadre de la Journée Défense et Citoyenneté (JDC) soulignent d'ailleurs que, si 81,8 % des jeunes Françaises et Français de 17 ans ou plus sont des lecteurs efficaces, 9,5 % sont en difficulté de lecture parmi lesquels 4,1 % sont en grande difficulté.
- Tous mobilisés -
Pour combattre ce fléau les collectivités territoriales se mobilisent également. Au Tampon par exemple, "l’action de lutte contre l’illettrisme est au cœur de toutes les médiathèques", explique Sophie Guillou, responsable des médiathèques et du réseau de lecture publique.
"Dès la petite enfance des ateliers bébés lecteurs permettent le contact avec le livre et permettent de tisser un lien fort autour de la parentalité", dit-elle. "Cela continue tout au long de la scolarité grâce au partenariat avec les écoles, collèges et lycées." Pour les adultes, les médiathèques travaillent en partenariat avec les travailleurs sociaux. Pour les séniors, des ateliers d’aide aux démarches administratives ont lieu les deux premiers mardis matin du mois de 9 heures à 11 heures à la médiathèque du centre-ville.
Le Tampon met également en place le dispositif "Facile à lire", afin d’offrir une offre de lecture pour les personnes "qui n’ont jamais vraiment maîtrisé l’apprentissage de la lecture ou qui ont désappris à lire", explique Sophie Guillou. "Il s’agit d’une étagère bien identifiée à l’entrée de la médiathèque qui présente des ouvrages faciles à lire présentés de face pour les personnes en situation d’illettrisme", ajoute-t-elle.
La médiathèque du Tampon et ses annexes sortent également des murs. "Les partenariats avec les Lieux communs résidentiels de la commune permettent de développer des moments conviviaux de partage autour de jeux afin de tisser du lien social pour des personnes isolées et en situation d’illettrisme", souligne Sophie Guillou.
Sur Saint-Denis, la maire, Ericka Bareigts, a fait de la lutte contre l’illettrisme, son cheval de bataille. "Avec 23 % des personnes ne maitrisant pas ou plus la lecture, l’écriture et le calcul, La Réunion est particulièrement concernée." La commune se mobilise en menant des actions portées par les clubs d’animation, de prévention, la fédération dionysienne d’éducation populaire et l’espace édition jeunesse accessible situé à la médiathèque François Mitterrand.
Sainte-Marie, la collectivité accompagne annuellement les associations de la ville dans la mise en œuvre de leur programme d’action en faveur de la lutte contre l’illettrisme.
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- Illettrisme au travail, tous concernés -
Selon l’INSEE, 2,5 millions de personnes âgées entre 18 et 65 ans sont illettrées en France, et la majorité, soit 51%, ont un emploi. Cette année, l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (Anlci) a donc choisi de mettre en lumière ce fléau qui touche également des salariés. Un mal-être souvent méconnu.
Souvent, les salariés touchés par cela le cachent. Il s’agit souvent de personnes qui sont allées à l’école mais qui ont dû interrompre leur scolarité. Soit il demande à un ami ou un collègue de les aider, soit ils trouvent une excuse pour ne pas accomplir telles ou telles tâches. En revanche, ce sont des personnes qui ont développé des qualités et facultés auditives et visuelles extraordinaires.
La Réunion, de nombreuses actions sont menées pour endiguer ce fléau et surtout accompagner les Réunionnais. Plus d’une cinquantaine d’actions seront organisées à La Réunion du 8 au 15 septembre dans le cadre de la 9ème édition des journées nationales d'action contre l'illettrisme (JNAI).
116.000 Réunionnais seraient donc en situation d'illettrisme, soit 23 % de la population du territoire, indique l'Insee. Des chiffres qui datent de 2011. Aucune donnée plus récente n'existe. Aucune explication n'est donnée à cet absence sur un sujet pourtant fondamental en termes d'insertion et de respect de la dignité de chacun.
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